Fifty fifty ou le temps du regard sur soi

Si vous saviez... Ce billet, je le porte en moi depuis quelques temps déjà. J'avais envie de l'écrire, la matière était là mais à chaque fois que je m'installais devant mon clavier, j'en reportais la rédaction, comme si inconsciemment je me rendais compte qu'il était prématuré.

Il m'a fallu attendre ce jour précis, qui me fait mettre le pied dans une nouvelle dizaine de mon existence, pour me sentir prête à vous faire part de cette expérience. Un anniversaire n'est-il pas le moment idéal pour vaincre sa pudeur, son appréhension aussi? C'est que le sujet est loin d'être confortable pour moi. Ceux d'entre vous qui me suivent régulièrement ont pu constater que je n'apparais quasiment pas sur ce blog. Comme de nombreux photographes, je préfère cent fois être derrière l'objectif que devant. Un rapport difficile à ma propre image que j'ai eu envie de soigner en cette année charnière. Et pour ne pas faire les choses à moitié (contrairement à ce que le titre de mon mémo pourrait laisser croire), je me suis inscrite à un cours en ligne consacré à l'autoportrait. Il s'agit très concrètement d'un projet 52 réunissant exclusivement des femmes qui publient chaque semaine sur Flickr la ou les images réalisées sur le thème dévoilé le lundi précédent.

Cette démarche tend à nous aider à poser sur nous un regard bienveillant. Vu son caractère très personnel, ce groupe n'est pas public. En y adhérant, j'ai voulu non seulement apprivoiser et accepter mon image mais aussi, je l'avoue, suspendre le temps pour garder des souvenirs imagés de celle que je suis tout au long de cette année "jubilaire".

L'exercice de l'autoportrait ne s'est pas révélé aisé, il ne l'est toujours pas d'ailleurs. Je jalouse un peu les ado de notre époque qui spontanément retournent l'appareil vers leur visage et se prennent sans complexe en photo. En vraie coincée de l'objectif, je reconnais avoir beaucoup de mal à le faire. J'admets aussi être impitoyable envers moi-même. Il y a toujours une ride, une expression, une attitude qui me déplaît. Je m'interroge sur les raisons de cette insatisfaction, sur cet écart que je ressens entre celle que je suis intrinsèquement et celle que je vois à l'écran. Je sais que je dois apprendre l'auto-indulgence et le lâcher prise. Au gré des prises de vue, je commence du reste peu à peu à me voir avec d'autres yeux, à être plus douce avec moi-même.

Et pour être tout à fait honnête, j'apprends aussi à montrer de moi ce que j'ai envie. Car l'autoportrait ne se limite heureusement pas à une photo prise à bout de bras d'un visage vu de face. C'est une discipline autrement plus riche dont je découvre semaine après semaine les facettes créatives. Si au début, on se contente d'une approche plutôt descriptive, on essaie assez rapidement de s'affranchir d'une réalité trop premier degré en traquant les ombres et jouant avec les reflets, en utilisant les contre-jours qui favorisent l'apparition de halo ou en se focalisant sur un détail.

On peut également tirer parti de la pénombre, chercher à intégrer dans son image un élément de son environnement ou utiliser des accessoires qui raconteront une histoire.

Je n'ai de loin pas encore expérimenté toutes les possibilités qui s'offrent à moi. Pour le moment, je me suis essentiellement cantonnée à des autoportraits en intérieur. Certes la météo de ce début d'année n'était pas vraiment propice à des prises de vue en extérieur mais bien plus que le mauvais temps, je redoute surtout l'éventualité de croiser le regard des autres au moment de ces séances photo un peu particulières tout de même. Je compte bien sur l'été pour me décrisper sous cet angle là, m'inventer d'autres moi-même, m'affranchir davantage de la réalité en explorant des techniques différentes plus créatives comme les flous, les doubles expositions etc.

D'un point de vue pratique, n'ayant pas d'appareil photo à écran orientable, très utile pour faire les cadrages en autoportrait, j'ai commencé par utiliser la caméra inversée de mon Iphone. Malheureusement, en utilisant ce système, la perte de résolution est énorme et on se retrouve avec des images de piètre qualité. Je me suis donc peu à peu mise à utiliser mon réflex (monté sur trépied) et un déclencheur à distance. Ce genre de séance photo ne s'improvise toutefois pas et nécessite un peu (même pas mal) de temps. Si comme moi (jusqu'à présent), vous photographiez en intérieur, il faut trouver un endroit proche d'une source de lumière naturelle, faire un peu de ménage dans son environnement pour ne garder que les éléments nécessaires à l'image et installer son matériel. La mise au point nécessite quant à elle quelques astuces. Oubliez l'auto-focus qui risque de méchamment patiner et optez pour des réglages manuels. Faites la mise au point sur un objet dont vous prendrez ensuite la place et déclenchez au moyen d'une télécommande. Si vous n'en disposez pas, vous pourrez aussi utiliser le retardateur de votre appareil mais cette solution est à mon avis plus compliquée. Ensuite, à moins d'être super calés ou d'avoir du bol, vous serez contraints d'effectuer plusieurs allers-retours pour vérifier si le cadrage convient. Il est rare en effet d'arriver à un résultat satisfaisant au premier essai.

Voila en bref, quelques retours de mes premières expériences en la matière. De tous les voyages que j'entreprends au cours de cette année, ce voyage intérieur est sans aucun doute celui qui me demande le plus d'efforts du point de vue tant perso que photo. Il n'en est que plus passionant! Et pour conclure, vous me pardonnerez une note totalement "égo-moi-je". C'est qu'aujourd'hui, pour moi c'est fifty-fifty:

 moitié jeunesse, moitié sagesse.

                                                           (Paul Raoul)

Petit truc photo pour tricher entretenir l'illusion de la jeunesse éternelle, moins douloureux qu'un lifting, moins onéreux que du botox et surtout totalement inoffensive, la lumière (surexposition à la prise de vue) est la meilleure ennemie du temps qui fane.

Si vous avez envie d'en savoir un peu plus sur ce sujet, je vous conseille le livre paru chez Pearson "L'autoportrait ". La partie consacrée aux fondamentaux techniques ne sera pas utile à tout le monde mais les ateliers pratiques proposés en deuxième partie par plusieurs photographes sont vraiment intéressants.